Situation de l’albinisme au Togo : les révélations de Souradji Ouro-Yondou, président de l’ANAT
La situation des personnes atteintes de l’albinisme au Togo est préoccupante. C’est le constat peint par le président de l’Association…
La situation des personnes atteintes de l’albinisme au Togo est préoccupante. C’est le constat peint par le président de l’Association Nationale des Personnes Atteintes d’Albinisme au Togo (ANAT). Doctorant en Droit public, Souradji Ouro-Yondou est consultant en planification et suivi évaluation des projets et programmes de développement. Dans cet entretien exclusif, le juriste donne des précisions sur l’albinisme et la situation des personnes atteintes sur le territoire togolais.
Lomegraph : Bonjour Monsieur Ouro-Yondou, le 13 juin dernier était la journée internationale de l’albinisme. Que comprendre de cette commémoration ?
Souradji Ouro-Yondou : Cette journée a été instituée par une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2014. La 1ère édition a pris effet, le 13 juin 2015. Cette commémoration vient donc donner un soutien international à la lutte que menaient les personnes atteintes d’albinisme dans le but de pouvoir affronter les difficultés que la nature et les hommes leur font vivre surtout en Afrique.
Je mets beaucoup l’accent sur l’Afrique parce que le 13 juin n’a pas été décrété de façon ex nihilo. Il y a eu un processus avec le conseil des droits de l’homme, les organisations des PAA qui ont fait un long processus de plaidoyer ayant abouti à cela. Tout ce plaidoyer a été motivé par les graves discriminations, attaques et violations de droits de l’homme que les PAA vivaient et continuent de vivre sur le continent africain.
Le thème retenu pour l’édition 2021 est « Forts, envers et contre tout ». Quelle interprétation peut-on donner à cette thématique ?
Ce qu’il faut comprendre s’inscrit dans cette lutte que les PAA font pour avoir un monde inclusif, compréhensif et sans discrimination. Un monde qui leur offre les mêmes chances que les autres sur la base de l’égalité. « Forts, envers et contre tout », c’est justement pour dire que les PAA, hommes ou femmes sont restés ou restent toujours forts face à toutes les situations de difficultés que leur imposent l’environnement (social, géographique ou naturel), dans lequel ils vivent.
Le rejet social, les exclusions, les discriminations, stigmatisations, les violations des droits, les attaques, les mutilations, les marginalisations même dans les familles. Tels sont des enjeux face auxquels, les PAA sont restées fortes. Le thème veut saluer le fait que nous restons debout malgré toutes ces choses que nous subissions.
L’albinisme, est-ce une maladie ?
L’albinisme est une maladie génétique qui ne nous rend pas malades alités, comme les personnes atteintes du paludisme ou du choléra. L’albinisme est une affection génétique causée par l’insuffisance ou l’absence de la production de la mélanine dans l’organisme de l’individu atteint.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les origines de l’albinisme ?
L’albinisme a pour origine l’insuffisance de la production de la mélanine dans l’organisme de la personne atteinte. Scientifiquement, il est expliqué que les personnes de teint noir ont la mélanine et nous les PAA, avons dans l’organisme les mélanocyte, l’élément chargé de produire la mélanine.
Mais les anomalies font que notre mélanocyte ne produit pas ou produit en quantité insuffisante la mélanine. C’est pour ça que nous avons les différents degrés de l’albinisme. Il y a six catégories en fonction de la qualité de la production de la mélanine. En majorité, les PAA sont issues des parentes atteintes d’albinisme récessif (peau noire avec des gênes). L’albinisme se transmet donc d’une manière héréditaire.
Comment reconnaitre une personne albinos ? Quelles sont les signes particuliers ?
En Afrique, c’est facile de reconnaitre les personnes albinos. Elles ont une peau, des cheveux et des poils de couleur blanche ainsi qu’une acuité visuelle très basse. Majoritairement, les personnes albinos ne voient pas de loin et ne supportent pas la lumière (soleil ou ampoules).
Est-ce avoir une peau teint claire est synonyme d’atteinte d’albinisme ?
Non, être de teint clair ne veut pas dire atteinte d’albinisme. Parfois, le gêne de l’albinisme existe chez un des deux parents donc, cela peut un tout petit se manifester par le teint clair. Il faut préciser que si c’est un seul parent qui a le gêne d’albinisme (même en quantité dominante), les enfants ne seront pas atteints. Par exemple, j’ai deux filles qui ne sont pas atteintes d’albinisme, or je le suis à 100%. L’albinisme s’est exprimé chez moi, parce qu’il est dominant. Mon père et ma mère sont de couleur noire donc l’albinisme existe mais c’est récessif.
Quelle est la situation de l’albinisme au Togo ?
Il faut le reconnaitre et le dire d’emblée qu’en comparaison à d’autres pays de l’Afrique Australe, nous pouvons dire que la situation est mieux. Pour revenir au contexte togolais, l’ANAT a élaboré pour la période 2018-2022, un plan stratégique en cours d’exécution.
Ce plan relève que la situation des PAA au Togo est préoccupante. Nous avons un certain nombre d’entraves qui nous font dire cela. Sous l’angle sanitaire, nous avons la vulnérabilité au soleil qui nous crée des cancers de la peau. C’est vraiment une réalité que nous subissons. Nous rencontrons des cancers graves de la peau pour lesquelles certains en meurent.
Sous l’angle éducation, l’albinisme est lié à un handicap visuel, souvent méconnu et qui n’est pas pris en compte dans les établissements scolaires. Jusqu’alors le système éducatif n’est pas inclusif pour les PAA. Ce qui fait que nous rencontrons beaucoup d’abandons scolaires. Il y a aussi la stigmatisation qui décourage les apprenants atteintes d’albinisme. Souvent le principe d’égalité est rompu et le droit à l’éducation des PAA est entravé.
Les personnes atteintes d’albinisme au Togo subissent-elles des discriminations ?
Oui, ça existe. Il y a le rejet social et l’exclusion même dans les familles. Quand vous naissez PAA dans certaines familles, le fait que les parents sont de teint noir, on rejette catégoriquement la maman et son bébé. Parfois l’enfant AA est considéré comme un sous homme et subi un traitement exclusif.
Il y a même des familles qui nient l’existence des enfants atteintes d’albinisme parce qu’elles considèrent que c’est une honte. Ils arrivent aussi que les belles familles s’opposent au mariage de leurs fils avec des filles atteintes d’albinisme.
Dans le principe, la discrimination est différente de la stigmatisation, en ce sens que la discrimination, c’est le fait de vous priver d’un droit parce que vous avez ce handicap. Mais la stigmatisation c’est de vous réserver un traitement différent qui ne vous prive pas de votre droit mais qui vous met mal à l’aise.
Exemple : lorsqu’on nous donne des surnoms juste pour nous énerver ; à priori ça ne nous prive pas d’un droit spécifique mais ça nous frustre. Il n’y a pas des discriminations généralisées sur l’aspect violence, agressions ou mutilations.
En septembre 2017, nous avons eu un cas du meurtre d’un enfant albinos. Il semblerait qu’il a été tué parce que les meurtriers avaient besoin de son corps pour des sacrifices. Mais, ce sont des cas isolés rares. Contrairement à d’autres pays, les agressions de ce genre ne sont développées au Togo. Il faudrait que nous restons vigilants.
Qu’en est-il de l’insertion professionnelle des personnes atteintes d’albinisme au Togo ?
Nous savons que dans notre pays, la difficulté liée à l’insertion professionnelle est générale, avec entre autres des questions liées au chômage et à la pauvreté. Pour les PAA, le facteur aggravant découle des difficultés que nous avons énumérées précédemment. Il serait compliqué pour une personne qui n’a pas pu convenablement étudier à cause de son handicap visuel, n’ayant pas été pris en compte de trouver un emploi.
Aussi, l’exclusion sociale et les stigmatisations aggravent ou rendent difficile l’insertion économique et professionnelle. Un employeur qui considère que vous êtes un bon à rien, un incapable ou une malédiction parce que vous êtes né blanc des parents noirs ne pourrait pas vous recruter.
Les préjugés freinent énormément notre épanouissement professionnel. Sur le plan économique beaucoup, surtout les femmes, ont fait des témoignages sur le fait qu’elles ont des difficultés à faire écouler leurs produits (denrées alimentaires).
Parlez-nous de l’Association Nationale des Personnes Atteintes d’Albinisme au Togo (ANAT) ?
L’ANAT a été créée en mars 2012 et nous avons eu le récépissé en 2014. Depuis 2017, nous avons le statut et été reconnu comme une Organisation Non Gouvernementale (ONG) de développement. L’objectif de l’ANAT est de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des Personnes Atteintes d’Albinisme au Togo.
Spécifiquement, c’est d’apporter des réponses à chacune des difficultés que les PAA vivent au Togo. C’est pourquoi nos domaines d’intervention sont calqués sur les difficultés que nous vivons : santé, éducation, insertion sociale, économique et professionnelle.
Que fait l’ANAT à l’endroit des Personnes Atteintes d’A Togo ?
En fonction de ces capacités à travers des appuis dont elle bénéficie, l’ANAT apporte des réponses aux besoins des PAA dans la mesure de ses possibilités. En matière de la santé, nous faisons de la prévention et de la prise en charge pour les maladies liées à l’albinisme.
Nous faisons des sensibilisations pour expliquer aux gens les dangers du soleil, les exigences de la situation d’albinisme ainsi que des astuces pour vivre en bonne santé. Nous distribuons des kits de protection solaire, des lunettes, des chapeaux, des crèmes et pommades dans l’optique de renforcer leur protection contre les rayons solaires aussi bien pour leur peau que leurs yeux.
Nous faisons des consultations dermatologiques pour les PAA. Aujourd’hui, plus d’une vingtaine de villes ont déjà accueilli ces campagnes de consultation et de prise en charge. En matière éducative, nous sensibilisons et faisons des plaidoiries à l’endroit des acteurs du monde éducatif pour mieux faire connaitre les handicaps liés à l’albinisme.
Nous soumettons des actions et doléances pour que les mesures correctives soient prises afin de rendre le système inclusif pour les personnes atteintes d’albinismes au Togo. Nous apportons aussi du soutien direct à un certain nombre d’élèves et étudiants en fonction de nos capacités. Cette année par exemple, nous accompagnons quatre étudiants et 12 élèves du primaire au lycée.
En ce qui concerne l’insertion sociale, nous faisons des sensibilisations de masse, de proximité (à travers les leaders communautaires) et des sorties médiatiques. Nous valorisons aussi les talents des PAA qui sont dans la vie active pour inspirer les autres et changer le regard de la population sur la l’albinisme.
En matière d’insertion économique et professionnelle, nous faisons des formations des plaidoyers et des appuis. Nous sensibilisons les nôtres à l’esprit entrepreneurial afin qu’ils se prennent en charge à travers leurs propres efforts.
Avez-vous le soutien des autorités togolaises ?
Nous avons un soutien institutionnel. Nous sommes sous le ministère de l’action sociale et les acteurs prennent part aux activités que nous organisons. Nous sollicitons l’autorisation du ministère de la santé pour l’organisation des consultations dermatologiques dans les centres de santé et il nous ne l’accorde.
Mais, il y a des choses que nous attendons du gouvernement qui ne sont pas encore effectives. Il s’agit par exemple de l’adoption d’un certain nombre d’actions visant à promouvoir les droits de l’homme des PAA. Nous continuions à faire le plaidoyer pour obtenir gain de cause.
Quels conseils avez-vous à l’endroit des parents des enfants ou personnes atteintes d’albinisme au Togo ?
D’abord mon conseil à l’endroit des PAA elles-mêmes, c’est de s’accepter. Évitons de s’auto marginaliser ou de nous sentir moins important parce que les autres nous relèguent au second plan. Mettons-nous en valeur. Ne nous considérons pas comme des mendiants. L’albinismes ne fait pas de nous des mendiants.
Certains ont pu réussir avec l’albinisme. Que tout le monde se dise que l’albinisme ne doit pas être un blocage pour son épanouissement total. Battons-nous et prenons des précautions que notre santé exige. Allons à l’école comme les autres, luttons pour contourner les difficultés.
Dans nos boulots ou activités, battons-nous pour pouvoir nous prendre en charge. Si nous nous réduisons en mendiants, nous allons accentuer la stigmatisation à notre égard. Protégeons-nous.
A l’endroit des parents, c’est de les inviter à accorder une attention particulière à l’éducation et la prise en charge de leurs enfants atteints d’albinisme. Certains parents nous envoient au champ parce qu’ils ont tendance à penser qu’il n’est pas important d’investir sur nous.
Accorder nous l’attention que vous devez accorder à tous vos enfants. Eduquer nous comme cela devraient être et accorder une légère attention particulière sur le fait que nous ne devrions pas trop nous exposer au soleil. Nous avons une acuité visuelle basse et il faudrait que les parents établissent un dialogue avec les enseignants pour suivre notre éducation afin que nous n’échouons pas.
Votre mot de fin ?
Je voudrais remercier la rédaction de « Lomegraph » pour l’attention particulière qu’elle a eu à l’égard de la cause des PAA. Nous remercions aussi tous les médias qui nous prêtent oreille attentive. Je voudrais aussi remercier tous les partenaires qui nous font confiance et nous soutiennent dans tout ce que nous faisons pour l’amélioration des conditions de vie des personnes atteintes d’albinisme au Togo.
Nous voudrions aussi exprimer notre reconnaissance au gouvernement pour ce qu’il fait déjà et profiter de l’occasion à l’inviter à faire encore un tout petit plus. Puisque, personne ne doit être laissée pour compte, nous souhaitons justement que la prise en compte des personnes atteintes d’albinisme au Togo se fasse à travers tous les projets et programmes en cours de développement.
Propos recueillis par Christelle Agnindom
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